Sortir : Comment s’est passé votre rencontre avec l’accordéon ?
Claude Vadasz : Sur le plan professionnel tardivement. Alors que nous cherchions avec Bernard Pigache une thématique pour créer un festival hors les murs du Biplan que je venais de créer avec Eric Guiot, nous sommes vite tombés d'accord sur l'évidence du fait accordéon à Wazemmes et dans notre région. A l'époque, Casilda Rodriguez faisait partie des artistes qui gravitaient autour des aviateurs de Wazemmes avec entre autres Laurent Petit et cette accordéoniste émérite nous a « branchés » sur le festival des Nuits de Nacre alors piloté de main de maître par Richard Galliano. Elle nous a aussi mis en contact avec Marcel Azzola (« Chauffe Marcel » de Vesoul). C'était aussi l'époque où l'accordéon reprenait ses lettres de noblesse avec la sortie du premier disque « Paris Musette » où jouaient tous les caïds de l'instrument dont certaines légendes encore vivantes comme Jo Privat. Cet album est peut-être le meilleur album swing musette jamais produit ! Bref nous avons été remis en face de la réalité considérable de l’immense héritage de cette culture populaire française magnifique, venant d'une époque où les chanteurs qui incarnaient l'excellence populaire française à commencer par Piaf et Montand, puis plus tard, Brassens et Gainsbourg – même s’ils ont peu utilisés l’accordéon - étaient des monstres sacrés, des artistes de la trempe de Billie Holliday et Nat King Cole. Je veux aussi parler de cette puissante vague de la chanson de rue qui swinguait sur des mélodies sublimes et dont les paroles étaient des bijoux nationaux. De ce génie français du swing et de la chanson populaire qui a donné des chefs-d'œuvre de rengaines qui sont encore le socle de notre patrimoine. L'accordéon c'est un monument national de légèreté chantante et d'émotion de la rue. Voilà pour le côté français que j'ai redécouvert alors, comme dormant sous la couche de pop et de rock and roll qui avait baigné mes oreilles depuis les années 70.
Notre coeur était tout de suite tourné aussi vers l'international. L'accordéon est présent sur tous les continents, et chaque folklore chaque style dans le monde a d'une certaine façon son accordéon, qu'il soit diatonique ou chromatique. Et à chaque fois c'est le souffle, le rythme, l'émotion, la danse et le charme qui sont au rendez-vous. A travers l'accordéon j'ai découvert et je découvre tous les jours des trésors de beauté et d'énergie.
Je ne suis pas un spécialiste ni un érudit de l'accordéon, mais étant moi-même musicien et chanteur, j'ai une approche et une oreille d'artiste dans ma fonction de programmateur et de directeur de festival.
 
Sortir : Enfant de Wazemmes ou d’ailleurs ?
Claude Vadasz : Enfant des mines, je suis né à Guesnain près de Douai dans les corons. Je suis venu à Lille en 74 pour faire des études d'allemand et je suis installé ici depuis. Mais j'ai eu des périodes à l'étranger et surtout à Paris où j'ai vécu 6 ans, me consacrant à 100 % à la chanson et au spectacle en tant qu'artiste. Paris où je garde des attaches et des collaborations vivantes puisque je continue d'écrire et de chanter même si j'ai moins de temps.
J'ai vraiment découvert Wazemmes en 1991 au moment du Biplan, que j'ai dirigé durant quatre années puis avec le festival Wazemmes l'Accordéon que j’ai créé avec en 1992 avec Bernard Pigache. A l'époque Wazemmes était encore un quartier très populaire, c'est-à-dire pauvre et insalubre, mais avec déjà, et j'imagine depuis toujours, une âme puissante, cosmopolite, festive, une forte identité. Ce charme incomparable a tout de suite opéré sur moi et je peux aujourd'hui me considérer comme wazemmois à 100 %. J'y vis, j'y travaille et j’y passe le plus clair de mon temps.
 
Sortir : « Cultures et Flonflons », c’est le nom de votre association mais c’est aussi votre définition de la culture populaire ?
Claude Vadasz : Oui c'est un peu une profession de foi assurément. Notre culture est imprégnée de cette façon typique qu'on a chez nous de faire la fête en dansant et en chantant. Le bal musette c'est un roc solide qui fait le socle de notre culture. Cet esprit festif se marie aussi tout naturellement avec les musiques populaires du monde entier, la java faisant bon ménage avec la musique du Maghreb, les fanfares des Balkans, la cumbia d'Amérique latine et la rumba catalana ! C'est de la grande culture. Je peux pleurer en écoutant du Beethoven ou du Schönberg, mais je vais naturellement plutôt vers la chanson et la musique populaire de Girl au Vieux Léon ou Sombre dimanche en passant par le Forro brésilien…
 
Sortir : Chansons, production de disque, direction et programmation d’un festival et maintenant réalisateur de courts métrage, vous êtes un peu un activiste protéiforme, une sorte d’homme orchestre ?
Claude Vadasz : J'ai toujours été plus attiré par les formes artistiques d'expression grand public, la chanson et le cinéma avant tout. J'ai roulé un peu ma bosse et l'expérience que j'ai acquise sur scène et en studio où j'ai passé quand-même quelque temps, puis dans le domaine de l'organisation et la gestion d'un lieu et d'un festival m'ont conduit naturellement à passer à la production. Le cinéma c'est plus récent mais j'ai eu une longue incubation, vu beaucoup de films et approché ce mode d'expression depuis tout jeune avant de passer derrière la caméra. Et pourvu que Dieu me prête vie j'ai bien l'intention d'y persévérer. D'autant que le cinéma étant un art synthétique c'est l'occasion d'y faire de la musique, d'y écrire des histoires et des dialogues, de diriger des acteurs et des techniciens. Je continue de faire ce que j'ai toujours fait de façon intuitive en combinant sans plan de carrière des disciplines et des expériences complémentaires.
 
Sortir : Diriger un festival quand on est un artiste, ce n’est pas facile ?
Claude Vadasz : Je pense qu'un programmateur ou un directeur de structure culturelle doit avoir au minimum une fibre artistique. De nombreux directeurs de festival ou de structures sont des artistes. Je parlais de Richard Galliano tout à l'heure, on peut parler d'Avignon avec Jean Vilar pour citer d'illustres exemples. Pour regarder ici à Lille, Gilles Defacque, Arnaud Van Lancker, Stuart Seide et j'en passe, sont des exemples vivants d'artistes qui sont aussi directeurs et organisateurs. Il n'y a pas conflit a priori mais plutôt convergence. Ensuite il faut pouvoir rester un artiste et ne pas se faire manger par le boulot qui est assez accaparant. Je n'ai jamais voulu devenir un organisateur à 100%. Mais j'ai longtemps mis de côté ma part d'artiste pour me consacrer à l'installation de ce festival. C'est une tâche qui demande du temps et de la niaque. C'est le 14ème festival et c'est la première fois que je vais monter sur scène avec un spectacle de chansons que j'ai écrites pour le projet Filochards. En ce sens ce n'est pas parfaitement évident de mêler tout au moins publiquement mes deux réalités. Disons que je vais de plus en plus vers cette synthèse de mes différentes facettes.
 
Sortir : Comment construit-on une programmation ?
Claude Vadasz : C'est un processus qui chez moi s'apparente aussi à la création. Je me laisse volontiers guider par les influences du moment et les circonstances. Par exemple nous avons créé un réseau culturel européen en 2011 qui travaille autour des Balkans et du thème des frontières notamment en Europe. Le thème parallèle des tziganes s'est imposé, comme dans Le temps des gitans d'Emir Kusturica que nous allons d'ailleurs projeter. L'accordéon en Europe centrale est très présent, très vivace. En particulier cet accordéon chromatique à touches piano qui joue cette extraordinaire musique aux racines orientales avec ces gammes un peu arabisantes et ses rythmes effrénés. C'est cette option qui a marqué le choix de la tendance 2012.
Mais il y a toujours du swing musette, de la chanson, du jazz, etc. L'évolution des goûts fait que la musique de DJ's gagne aussi en présence au festival. Mêler l'international, le local, le popu et le pointu sont des principes de base que nous n'avons jamais trahis. A partir de là il faut faire des choix, varier les angles et les couleurs. Il y a sans doute une part de subjectivité. On ne peut pas tout passer, on est limités par des critères dont font également partie les coûts artistiques. Je rêve de faire venir Hermeto Pascoal à Wazemmes l'Accordéon mais ce n'est pas dans nos moyens. Peut-être que s'il passe à Paris en pleine période du festival un jour ? Un petit crochet à prix amical dans notre village...
 
Sortir : Les fondamentaux de Wazemmes l’accordéon ?
Claude Vadasz : Ils sont dans le nom du festival. Un ancrage dans un quartier qui je le rappelle est un chaudron culturel et festif hors pair. Tous les visiteurs qui viennent au festival et notamment les artistes sont toujours bluffés par le dynamisme de notre quartier, la ferveur de notre public. Et l'accordéon donc bien-sûr, la boîte à frisson, l'instrument de toutes les danses et de toutes les émotions. Aussi chavirant dans une pièce de musique contemporaine que dans une rengaine increvable interprétée à la diable sur le coin d'un zinc.
 
Sortir : Il y a une recette pour réussir un festival comme Wazemmes l’accordéon ?
Claude Vadasz : Non pas spécialement. C'est la somme de beaucoup d'énergies. C'est un projet très collectif. Une centaine de bénévoles. Une association familiale, des amis solides autour d'un petit noyau organisationnel (deux salariés à temps plein, deux à temps partiel et quelques stagiaires). De bons techniciens. Un petit peu d'opiniâtreté et de prises de risques comme dans toute aventure de valeur. Une programmation qui fait la place à la rencontre et à la découverte. L'amour de musique et de la culture populaire. Un lieu central bien investi, cet outil superbe qu'est la maison Folie de Wazemmes. Un soutien financier également car que ferait-on sans moyens ?
 
Sortir : L’affiche de cette année de Wazemmes l’Accordéon est plus sobre que celle de l’an dernier, c’est le reflet d’un état d’esprit ?
Claude Vadasz : Nous changeons chaque année. Nous avons pour principe de placer en effigie un portrait, une ou deux personnalités du cru. Denis Cacheux, Arnaud Van Lancker, Gérard Buisine, Didier Demarcq, Les Belles Lurettes, Thierry Montagne, etc. Cette année pour la thématique tzigano-balkan je souhaitais que l’on voie une tronche qui colle bien au style. J'ai pensé à mon ami Franck Cardon bien connu à Lille. Il a accepté de se faire pousser la moustache et incarner un gitan plus vrai que nature ! On aime bien avoir un peu d'humour et de peps sur notre affiche. L'année dernière c'était un couple en slip mais c'était lié à Eric Ghesquière et Barbara Wastiaux qui forment un duo d'artistes hilarants, et on avait joué sur les couleurs tranchantes rouge et blanc du drapeau polonais, la Pologne étant à l'honneur en 2011. Cette année c'est une affiche qui évoque les cartes postales retouchées avec un tzigane qui sourit de toutes ses dents. Moins flashy mais toujours charmant non ?

 

Sortir : Les artistes de cette année qui vous tienne particulièrement à cœur ?
Claude Vadasz : D'abord courez voir et entendre le 22 mai la Compagnie des Musiques à Ouïr qui m'a fait pleurer d'admiration et d'éblouissement l'année dernière avec son spectacle sur Brassens. Ils rempilent avec une création sur des chansons de la géniale Brigitte Fontaine avec one more time en invité délicieux, notre excellent Loïc Lantoine.
Le spectacle de flamenco Gamero/Barcelona le 16 mai va sans doute (encore une création) aussi faire de magnifiques moments. Sinon y a que du beau et bon !