Coups au coeur...

Transportons-nous d'abord au coeur du Mississippi, années 40, deux hommes en enterrent un troisième, au milieu de la boue, sous une pluie battante : comment en est-on arrivé là ? C'est ce que va reconstituer le récit, poignant, palpitant, polyphonique d'Hillary Jordan (Mississippi, Belfond, 19€) et de ses personnages, qui prennent la parole à tour de rôle, points de vue divers et vocabulaire correspondant. La voix de Laura, citadine cultivée, mariée sur le tard avec Henry, qu'elle va suivre dans la campagne profonde, lorsqu'il voudra devenir cultivateur, avec leurs deux filles, une vie dure, encore assombrie par la présence d'un beau-père râleur et raciste, éclairée par l'arrivé du jeune beau-frère, Jamie. Parmi d'autre voix encore, celle de Ronsel, fils des métayers employés par Henry, tankiste, héros, au même titre que les soldats blancs, de la guerre contre les nazis, mais qui va se heurter à la haine raciale toujours bien présente dans son Mississippi natal. On sent sourdre la tragédie, on tremble pour les personnages auxquels on s'est attaché, qu'il nous tarde parfois de retrouver, pour connaître la suite des événements, alors que l'on écoute un autre point du vue. Ambiguïtés et bouleversements, amitié sur le fil et amours contrariées, raison et déraison, une terrible palette de sentiments et comportements humains se bousculent dans cet ouvrage choral magistral !

Retour de nos jours, en France, avec un joli point de vue sur l'identité nationale dans ce contexte du débat malsain et de la progression électorale du FN : merci Alice Zeniter ! Le Jusque dans nos bras (Albin Michel, 16€) de cette jeune écrivaine (23 ans) commence  par une description non exhaustive, mais très gustative, croustillante et piquante, de sa génération, puis raconte son parcours à la découverte d'un racisme rampant et très présent, et de son engagement à le combattre. De la « sale bougnoule » des bacs à sable au choc du 21 avril, en passant par le collège et la revendication de ses origines maghrébines, et puis aujourd'hui, comme un aboutissement : elle se marie avec son copain malien, Mad, pour qu'il ait enfin ses papiers. Un mariage blanc comme on dit, mais plutôt plein de couleurs et de souvenirs. Car si c'est une histoire d'engagement, c'est aussi une histoire d'amitié : Mad a toujours été là pour elle, alors, malgré les doutes, les peurs, elle aussi elle veut être là pour lui, qu'il n'ait plus à subir le dégradant et suspicieux interrogatoire pour le renouvellement de son titre de séjour, la peur au ventre. Un plaidoyer universel mêlé de questionnements personnels, une écriture haletante, qui ne laisse pas le temps de reprendre son souffle, l'espoir en une nouvelle génération, tolérante, accueillante, faisant fi des préjugés : pour sûr, on découvre là une jeune auteure très douée, à suivre de près !