Sortir : La nouvelle a fait grand bruit : l'aventure de Marcel et son orchestre se termine donc. Y a-t-il une raison particulière à cela ?

Franck Vandecasteele : Marcel, au départ, c'est une réunion commune autour d'une envie de déconne sans plus de planifications qu'un amusement collectif et partagé. Nous n'avons jamais vraiment eu de limites, jamais cherché les étiquettes et avons toujours travaillé dans le plaisir du moment. Ce qu'il y a c'est que le monde a beaucoup changé autour de nous. Le créneau décalé et alternatif qui était vivace au moment où nous avons démarré, s'est depuis largement tari. L'arrivée d'internet, que j'ai salué comme une belle opportunité de pouvoir découvrir des artistes guatémaltèques ou autre, a fini par glisser vers une normalisation écrasante. Quant aux salles, elles proposent des programmations très uniformisées partout dans le monde. Si t'as pas ton petit entrefilet dans les Inrocks, tu n'existes pas. La scène francophone s'est aussi délitée, mais ça ne nous a jamais vraiment fait peur. Notre philosophie par rapport à ça, ça a toujours plutôt été « ils sont 300000, nous sommes 7 : encerclons-les ! ». C'est aussi le passage du temps qui a fait que la réunion de nos envies communes est devenue un peu plus difficile, plus compliquée, chacun ayant des envies différentes.

Sortir : Avant la fin, il y a tout de même la sortie programmée de Dans la joie jusqu'au cou, le nouvel album. Au-delà de la déconne qui transpire de tous vos albums, on sent dans les chansons un vrai intérêt pour les gens ordinaires et une envie de dénoncer sans entrer dans le militantisme.

F. Vandecasteele : Dès le début, le ton rigolard a été pour nous un moyen de parler de sujets qui nous importaient. C'est sûr que sur un titre, il est parfois dur d'être plus nuancé mais on a toujours tenu à éviter la pensée paresseuse, les généralités et les étiquettes. Marcel, c'est un peu « méfiez-vous des apparences », c'est aussi la grande aventure de Monsieur et Madame Nous-tous, avec les difficultés de la vie ordinaire, qui rendent parfois compliqué le fait de garder la tête hors de l'eau. On en parle en chansons, sur des musiques variées parce qu'on a toujours revendiqué le droit d'être multiples. Entre déconne, actualité et le reste, c'est la nature humaine qui nous inspire. Et puis le militantisme, les bons sentiments tout ça, on a toujours préféré les aborder au travers de personnages parce que ce sont les gens qui rendent les choses intéressantes.

Sortir : L'album a-t-il été imaginé dans des conditions particulières ? Saviez-vous en le faisant que c'était le dernier ? Vous lui joignez en plus un petit bonus en guise cadeau d'adieu...

F. Vandecasteele : On n'a jamais fait de plan, on a toujours navigué à vue, en démarrant, on ne faisait pas vraiment les choses dans les clous, il n'y avait pas de calcul. Je ne suis devenu intermittent du spectacle qu'en l'an 2000, avant, on ne se posait pas la question des règles. L'album a été fait comme tous les autres, chacun venant avec ses idées et ses envies et en essayant de sortir quelque chose de commun de tout ça. Quant au deuxième disque (Tous les coups sont permis, NDLR), il vient d'une habitude que l'on a depuis longtemps de revisiter nos morceaux sur des tons et des rythmes différents, quitte à en prendre le contrepied parfois. Du coup, on s'est dit qu'on allait le faire pour de bon, l'enregistrer et l'offrir au public.

Sortir : Et maintenant ? Marcel part en tournée d'adieu ?

F. Vandecasteele : On a donné des milliers de concerts dans des tas de lieux, y compris sur des grandes scènes comme les Eurockéennes, les Vieilles Charrues ou les Francofolies. Alors oui, c'est la dernière fois mais c'est un voyage joyeux, on a toujours évité la routine, on a préféré se faire peur que jouer une carrière. Marcel, c'est la plus longue histoire d'amour de ma vie, j'ai passé plus de nuits à l'hôtel avec lui qu'avec n'importe qui d'autre. Depuis que la fin du groupe a été annoncée, on a eu des réactions de fans fort émouvantes. Pour nous aussi ce sera un moment spécial, comme pouvaient l'être les concerts des Marcel pour le public : un petit carnaval pendant lequel tout est permis, avant de reprendre le cours de nos vies le lendemain. Ce dernier tour de piste, on va le faire la tête haute, c'est un happy end pour Marcel.