Sortir : Comment est née la saga Freaks' Squeele et l'idée de mêler de des choses aussi variées que le fantastique, le décalé ou le contemporain ?

Florent Maudoux : Le fantastique est un formidable moyen de raconter des évènements anodins qui paraîtraient peut-être un peu fade sans exagérations.
J'aime beaucoup les chroniques sociales, mais j'ai aussi besoin d'y ajouter du "peps" graphique. Enfin ma compagne et moi sommes de grands consommateurs de littérature fantastique. Le fantastique s'est imposé tout seul.

Sortir : Etre maître à la fois du dessin et du scénario, c'est une grande liberté, un grand vertige, un peu des deux ?

F. Maudoux : N'allez pas croire que parce qu'elle n'est pas créditée ma compagne ne donne pas son avis sur Freaks. Mais pour répondre clairement à la question, être mon propre "patron" m'a beaucoup responsabilisé et j'avais besoin de ça après avoir travaillé comme simple technicien pendant de longues années dans le jeu vidéo et la figurine en plomb. Pouvoir assumer les erreurs comme les succès de ma série est un plaisir que je goûte avec beaucoup de plaisir.

web freakssqueele 3.jpgSortir : Avec 5 albums au compteur, vous sentez-vous plus en confiance pour la suite ou le challenge reste-t-il le même à chaque nouvel épisode ?

F. Maudoux : Au contraire, c'est toujours plus dur. Car même si chaque album a son propre rythme et sa propre personnalité, je dois constamment me battre pour y apporter de l'énergie et du neuf. J'aime bien me comparer au Docteur Frankenstein qui, pour éveiller sa créature, doit faire appel à la force de la foudre. Et bien pour les personnages d'une BD c'est pareil, il faut bien 2,21 Gigawatts pour animer tout ce petit monde. Je dois être une éponge, voire un ogre pour nourrir mon travail. Il existe un arc précis qui englobe le cadre des études du trio d'apprentis héros. J'ai une idée de la fin, mais j'ai toujours voulu laisser de la latitude à mes personnages afin qu'ils s'expriment librement. Ce qui peut amener ce sentiment que le récit part dans tous les sens alors qu'il est à l'image de l'héroïne : Chance.

Sortir : Le changement et la variation des rythmes de narration, un peu comme dans une histoire à épisode du XIXème siècle (type Rocambole) répond-t-il a une nécessité particulière ?

F. Maudoux : J'aime beaucoup la possibilité qu'offre une série de mettre des personnages familiers dans des situations variées. Tout devient plus palpitant lorsque les personnages que l'on suit ont évolué avec nous pendant des années. J'avais prévu dès de le départ de commencer le premier tome sur le ton du teenage movie puis de basculer sur des choses plus sérieuses ou au contraires plus dingues. J'ai l'esprit très vagabond et ça aurait été une torture de trop cadrer l'univers de Freaks.

Sortir : Presque chaque page des albums fourmille de clins d'oeil, symboles et autres inserts discrets (dans le dessin ou les textes) qui proposent un autre niveau de lecture. Cela est-il important pour vous ?

F. Maudoux : Comme pour les contes et légendes de notre jeunesse, j'essaye de proposer une histoire derrière l'histoire. J'aime bien penser que le lecteur peut découvrir de nouveaux éléments à chaque lecture et pourquoi pas un sens caché à l'histoire.
Sans sombrer dans l’hermétisme, la BD doit pouvoir se lire à son propre rythme. S'il n'y avait pas toutes ces strates de compréhension, j'ai peur que Freaks' ne soit au final qu'une BD bien creuse.
Pour moi aussi c'est passionnant de jongler avec les symboles, c'est stimulant. Je pars du principe que je dois m'éclater pour que le lecteur soit diverti au mieux lors de son expérience picturo-littéraire.

web freakssqueele 2.jpgSortir : Combien de temps y a-t-il entre l'écriture et la réalisation d'une page ?

F. Maudoux : J'écris et j'imagine mes planches quasiment en même temps. En fait je ne réfléchi bien qu'en image. Le texte que je pose à l'avance n'est qu'un guide qui me permet de découper les 130 planches d'un album.

Sortir : Faut-il voir dans le trio Ombre/Xiong Mao/Chance une réponse au trio d'Harry Potter, et à d'autres ?

F. Maudoux : Oui. Le trio dans Harry Potter est le résultat d'une longue évolution qui trouve ses origines jusque dans les écrits fondateurs de certaines civilisations (qui se valent, je vous rassure). J'ai voulu casser ce cliché pour que Freaks soit plus en phase avec notre société française fortement féminisée : l'homme est alors un loup maladroit et timide dont la force physique n'est plus un atout majeur. Puis j'adore dessiner et mettre en scène les femmes.

Sortir : Sous des dehors parfois farcesques et décalé, la série questionne tout de même des thématiques ambitieuses (l'écologie, l'égalité, la différence...) jusqu'à quel point cela est-il important dans l'histoire ? Comment s'équilibre ces envies avec vos choix de narration ?

F. Maudoux : Freaks est une œuvre populaire et doit vivre avec son temps. Je ne peux pas occulter ce que je perçois du monde et ce que j'ai vécu en tant qu'étudiant. D'ailleurs le thème scolaire de l'université et du à ma volonté de parler d'une expérience que j'avais moi-même vécue. J'ai essayé d'être le plus sincère possible dans ma démarche, mais l'avantage du fantastique c'est que très vite tout prend une dimension spectaculaire et amusante.

Sortir : Y a-t-il des choses que vous vous êtes interdit d'évoquer dans la série ? Freaks'Squeele n'est-il que la première incursion dans le multivers de Florent Maudoux ?

web freakssqueele 4.jpgF. Maudoux : J'ai envie de ne rien m'interdire; j'ai pensé Freaks pour pouvoir raconter tout ce qui me passe par la tête. La série pose le ton: chaque opus peut-être différent des autres et on peut imaginer que les spin-off seront encore plus variés, non seulement par les thèmes abordés mais aussi par les dessins. Graphiquement je compte toujours rechercher des technique plus aptes à représenter ce que j'ai en tête afin de toujours coller au plus juste à l'émotion que l’œuvre est sensée procurer.
La seule limite finalement c'est l'attente et la patience des lecteurs: jusqu'où ils seront prêt à nous suivre, mes héros et moi ?

Sortir : Hors de Freaks' Squeele, avez-vous des envies d'explorer un genre, un univers, un ton différents ? Votre participation à DoggyBags 1 allait-elle en ce sens ?

F. Maudoux : Exactement. Je suis quelqu'un qui se lasse vite, je n'aime pas dessiner deux fois la même chose. Ajouter des "tons" différents à l'univers de Freaks est tout naturel. Du coup je ne compte pas m'arrêter là, j'ai hâte de commencer Funérailles (aventure dérivée de la série qui verra le jour après le premier cylce, NDLR) qui sera beaucoup plus sombre et adulte. En revanche chaque spin-off aura son autonomie, je ne veux pas prendre en otage les lecteurs et les obliger à tout acheter pour comprendre ce qu'il lit.