Poète du réel


Il fallait bien cela. 400 pages dans la très belle collection « Les Phares », chez Citadelles & Mazenod pour l'énorme Gustave Courbet. Artiste total, complexe et paradoxal, il aimait la peinture et la réussite. Une sorte de Hugo qui aurait digéré plus vite que l'écrivain le romantisme et qui serait allé chercher du côté du Caravage, dans la rue, une grande part de son inspiration. Sans toutefois oublier de penser, de réfléchir à son époque, au monde comme il va (ce que les critiques lui accordèrent rarement), ce monstre assoiffé de reconnaissance a laissé derrière lui une oeuvre que l'on n'a pas fini d'explorer et dont l'auteur de cet ouvrage, Ségolène Le Men, nous livre quelques secrets en se penchant sur les détails de ses toiles. C'est dense, immense, vigoureux, tranchant avec ce que l'on faisait à l'époque, donc insupportable pour ses contemporains.
Très riche, on le spoliera de ses biens pour reconstruire la colonne Vendôme dont on l'accusait d'être à l'origine de la destruction pendant la Commune de Paris. Il n'en restera pas moins, quelque 1000 peintures plus tard, comme celui qui a su « puiser dans l'entière connaissance de la tradition le sentiment raisonné et indépendant de (sa) propre individualité ».
Donner à voir et à rêver, de l'Origine du monde jusqu'à ses pires travers. Un regard magnifiquement rendu par ce livre.

Courbet
De Ségolène Le Men
Ed. Citadelles & Mazenod

 


Laisser parler les petits papiers


Ce ne sont pas des livres, ce sont des coffrets cadeaux, des documents rassemblés en volume. On y multiplie les illustrations surprenantes, les textes éclairants mais aussi (mais surtout) on y trouve un nombre incroyable de fac-similés qui vous donnent le sentiment d'aller jeter un oeil là où les autres livres ne s'attardent jamais.
Deux titres parmi les nouveautés devrait combler les amateurs. Tout d'abord un de Gaulle, signé Yves Guéna où vous pourrez mettre la main (entre autre) sur l'acte de naissance du Général mais aussi sur son livret militaire (remarquant déjà à l'époque son éloquence et la qualité de ses conférences) ou encore sur sa lettre de démission et celle qu'il envoya à son premier ministre à cette occasion. Tous ces documents sont loin d'être des détails, en particulier l'un d'entre eux qui donne un éclairage très différent sur la visite en Allemagne du Général au plein coeur de Mai 68.
L'autre ouvrage est sur Monet. Toujours le même principe. Un texte clair, précis et des illustrations variés et nombreuses et, bien sur, des documents reproduits à l'identique. Des carnets de croquis, une de ses premières caricatures, une facture envoyée à Durand-Ruel, son marchand d'art et pas mal de lettres parfois très amusantes avec le recul du temps.
Bref, du bonheur en page, un peu comme un musée que l'on pourrait refermer et ranger dans sa bibliothèque.

De Gaulle
De Yves Guéna
Monet
De Michael Howard
Tous les deux environ 80 pages. Editions Gründ.


L'autre maison de Charlot


Ce n'est pas pour fuir les impôts mais le MacCarthysme que Charlie Chaplin s'installa en Suisse, en 1952 à Vevey dans le magnifique manoir de Ban. Là, il vécut jusqu'à sa mort avec sa femme, Oona, et ses huit enfants. C'est pour eux qu'il décida, en 1977, de demander à un photographe de réaliser des clichés de cette demeure pas comme les autres pour la confection d'un album qui devait compter huit exemplaires. Un par enfant. Un souvenir en image. Le temps lui a un peu manqué pour mener à bien cette entreprise et ce fut sa femme qui termina les ouvrages. C'est l'un d'entre eux que choisit de partager avec nous, aujourd'hui, son fils Eugène pour commémorer le trentième anniversaire de la disparition de son génial géniteur. On y découvre cette demeure de 24 pièces, construite en 1840 et que Charlot avait acquise pour que sa femme ne mette pas au monde leur fils dans un hôtel.
On feuillette le livre en essayant d'imaginer où Chaplin s'asseyait, travaillait ou discutait avec ses amis. C'est plein de photos familiales inédites, de souvenirs d'enfance et d'admiration pour un père qui fut aussi l'un des plus grands (le plus grand ?) réalisateurs du XXème siècle.

Le manoir de mon père
Eugène Chaplin
80 pages. Éditions Ramsay 

 


Éducation difficile


Si les dessins de Sempé ne produisaient pas chez moi une admiration absolument indescriptible (quand va-t-on se décider à le faire entrer à l'Académie Française ?), Jean-Philippe Delhomme pourrait être mon dessinateur préféré. Et son dernier album dont le titre lorgne vers Balzac, ne fait qu'accentuer ce sentiment. Scène de la vie parentale est encore plus drôle que ses précédents livres parce qu'il touche un sujet sensible: qu'est que c'est qu'être de bons parents ? Comment s'y prendre avec les enfants si l'on est plus branché que Beigbeder et plus accro à la mode que les héros de McInerney, que l'on a beaucoup lu Freud et que toutes les théories les plus avant-gardistes (y compris en matière d'éducation) ne nous laissent pas indifférents ?  Tentative de réponse: « Plutôt que de louer un clown ou un magicien, nous avons trouvé plus intéressant d'organiser l'anniversaire de Marcello dans un lieu d'art contemporain ». Ou encore, « Notre théorie était que nous arrêterions les joints lorsque nos enfants seraient en âge de comprendre ». Le tout avec des adultes qui s'habillent comme des photos de mode, un trait qui brille surtout par son absence (tout est fait en couleur directe) et une évolution dans la réflexion qui conduit le lecteur aux portes de l'adolescence vers la fin de l'album.
Delhomme met en image des adultes désemparés qui s'accrochent à leur progéniture en espérant combler le vide sidéral de leur existence. C'est plus que drôle. C'est inquiétant.

Scènes de la vie parentale
De J-Ph. Delhomme
Éditions Denoël
   

Les origines du Père Noël

Parce qu'il faudra bien à un moment ou à un autre que l'on explique d'où il vient ce fameux monsieur au long manteau rouge et à la hotte chargée de cadeaux, Philippe Lechermeier et Elodie Nouhen tentent une explication. Une histoire de Noël qui parle d'accueil, de partage, de tradition et de travail. Un magnifique album qui brille autant par l'intelligence de son propos que par la qualité de ses illustrations. D'un grand format (240x360), tout en hauteur, cette histoire élève l'âme autant que les sens. On y croise un petit garçon qui se souvient d'une époque où la garance, que l'on cultivait pour faire de la teinture rouge, apportait bonheur et prospérité à tout son village. Et même bien au delà puisque des hommes, venus du nord, aidaient chaque année à la récolte et à la fabrication de cette teinture. Ils ne venaient jamais les mains vides et notre narrateur prit l'habitude de ce Noël très particulier. Mais la garance se mit à faire moins recette, le travail à manquer. Cependant l'un de ces hommes, Akupai n'oublia jamais de revenir, même lorsque sa barbe se fit de plus en plus blanche.
Il y a dans le travail graphique et dans les couleurs d'Elodie Nouhen quelque chose de tactile et de sensuel qui donne à cet album sa couleur particulière. Entre l'ocre et le rouge, elle a su donner à l'histoire intemporelle et donc universelle de Philippe Lechermeier tout son éclat poétique. C'est plus qu'un bel album pour enfant (ce qui est déjà remarquable). C'est un livre d'art pour tous.
 
Le Manteau rouge
De Ph. Lechermeier et E. Nouhen
40 pages. Ed. Gautier. Languereau.