Sortir Bordeaux Gironde : Jeune Public, radio et enfin théâtre, plutôt atypique comme parcours...
Fabrice Melquiot :
Au départ, écrire pour les enfants, c'était pas vraiment une vocation. Juste l'éditrice avec laquelle je travaillais qui m'a convaincu de cette qualité de textes "frontières", pas exclusivement réservés aux enfants mais également accessibles à un public adulte... c'est là que j'ai commencé à m'intéresser aux enjeux de l'écriture Jeune Public. Au bout de la troisième pièce, j'ai changé de maison d'édition (passé à l'Arche) : ça m'a permis de me pencher plus sérieusement sur le théâtre et de poursuivre parallèlement un chemin d'écriture dramatique. D'ailleurs depuis 10 ans, j'ai toujours toucher à l'écriture poétique, avec une trentaine de poèmes ou recueils publiés. Quant à la radio, l'aventure date de 1998 (à France Culture) entre simples textes (nombreux) et deux feuilletons rapportant mes voyages, à Kaboul et au Mexique. La radio, j'aime beaucoup ça : c'est comme faire du théâtre pour les oreilles, une histoire de climat et de mots laissant une grande part d'imagination à l'auditeur.

Sortir : Comment vous est venue cette envie d'écrire ?
F. Melquiot :
C'est au moment de l'enfance que l'écriture a pris de l'importance pour moi. Écrire très tôt, c'est souvent le résultat d'une infirmité : lorsqu'on éprouve des difficultés à s'exprimer, il faut trouver un autre canal pour communiquer, mettre en commun qui l'on est. En fait, ça dépend de la façon dont on vit l'enfance, et comme pour moi, ç'a été un grand temps de solitude, c'est quelque chose qui a été très vite très présent chez moi et ça ne m'a pas lâché... L'écriture, c'est aussi une fascination pour les mots, au point d'entretenir un rapport ludique, façon jeu de construction.

Sortir : La suite logique, c'est la mise en scène avec Tarzan Boy.
F. Melquiot :
Ce sont mes trois acteurs (« on veut travailler avec toi ! ») qui m'ont convaincu de pousser l'écriture jusqu'à la mise en scène. J'avais quelques notes sur Modane, sur ce qu'était être ado là-haut dans les années 80... ils ont été de suite emballés. Du coup, on s'est dit que c'était peut-être sur ce projet qu'il fallait travailler. C'est un vrai spectacle de compagnie, fabriquée ensemble, à tous les niveaux : par exemple, pas de scéno mais un espace vide, dénudé, laissant place à la lumière et à un travail de création son, des sonos provenant de Modane...

Sortir : L'histoire donc, c'est genre un adolescent à Modane ?
F. Melquiot :
C'est le point de départ de la pièce... mais ça reste difficile à résumer : plutôt une sorte de kaléidoscope dramatique d'un ado en particulier pour parler plus largement de l'adolescence. En clair, une succession de séquences, d'accidents jusqu'au moment clé de la découverte de la nudité, ce corps sacré, point d'intersection entre désir et mort. C'est aussi le rapport au père, central et puissant tout au long de la vie. Intérieurement, après toutes ces pièces, tous ces voyages, j'avais besoin de revenir au premier ici, le lieu où j'ai commencé à écrire, pour me mettre à nu dans l'écriture, en usant le moins possible des artifices fictionnels : ne pas se faire de cadeau à l'endroit de sa sincérité.

Sortir : Dans la forme, vous restez dans le registre narratif...
F. Melquiot :
En tout, il y a 73 séquences, une pièce écrite en tirets et beaucoup de récits, des personnages qui apparaissent, le locuteur, présent et adolescent, les parents, l'amoureuse, Betty, des figures aussi, telles que le bagarreur... J'aime beaucoup les structures fragmentaires, ça permet d'échapper à la chronologie, se montrer ordonné dans une structure plus éclatée. Le lecteur ou le spectateur aujourd'hui est capable de s'y retrouver.

Sortir : Et donc c'est comment les années 80 à Modane ?
F. Melquiot :
Les années 80, c'est le piège, ça ne constitue pas le sujet de la pièce : ce qui m'intéresse, c'est de partir des clichés, aller au-delà, et non d'y arriver. Ce sont toutes ces chansons, ce maillot de Saint-Etienne, à la fois très important et absolument anecdotique, ou encore l'emblématique rubik's cube... Et puis Modane, c'est vraiment singulier, une façon de vivre, une espèce de poche, de ville-frontière à la montagne, comme un entre-deux. Par exemple, 1968 à Modane, c'est pas le 68 militant qu'on peut imaginer, loin de là. Cet été, on y a passé 10 jours en résidence, à l'issue de laquelle on a présenté une maquette de la pièce : ç'a été une soirée inoubliable, une ambiance à mi-chemin entre théâtre, stade de foot et meeting politique, 400 personnes pour un spectacle à Modane... des gens sensibles à ce désir de dresser un portrait de cet endroit.